Il s'agit de poser à plat toute pensée qui traîne dans la tête, moins pour ne pas en perdre une miette plutôt que pour s'en débarrasser, et laisser l'oubli blanchir la mémoire, pour qu'un commencement soit possible.

REMINISCENCES

AUVERGNE, 26 FERVRIER,
C'était de leur maison d'enfance que discutaient toutes ces grandes personnes réunies autour de la table. Je me contentais de terminer ma salade de fruit en écoutant ces discours avec l'attention de celui qui n'a pas encore assez vécu pour comprendre.
La conversation avait d'abord été soulevée par une petite anecdote, qui aurait très bien pu passer inaperçue mais qui au contraire avait provoqué, je crois, de grands mouvements d'âme :
Un jour que Monique s'était aventurée dans le quartier de son enfance, elle sonna à la porte de ce qui avait été son appartement. Quelqu'un lui ouvrit. Présentations. Explications. Elle finit par entrer, l'agencement des pièces n'avait pas bougé, seule la décoration manifestait des changements successifs de propriétaires. Mais lorsqu'elle aperçu au sol le dessin du carrelage qui, lui, avait traversé le temps, elle pleura ; irrépressiblement.
Chacun de raconter ensuite sa petite expérience.
Chacun de s'étonner d'avoir vécu la même chose.
Et face à la gentillesse de l'habitant qui les avait laisser pénétrer dans ce qui n'était plus leur lieu, ils avaient éprouvé un sentiment de violence à leur encontre et comme par réflexe même ils avaient éprouvé comme une sorte de reproche adressé à leur ôte qui n'y était pour rien.
Drôle de mélange sentimental.
Tout ça provoqué par un lieu.
Tout ça provoqué, plus précisément, par la rencontre de deux temps : celui du souvenir d'un lieu et celui d'un lieu qui a tracé son chemin, qui s'est effacé, transformé. Ce heurt manifeste de l’impossibilité de la constance du monde mise face à nos désirs les plus enfouis.

Pourquoi faudrait-il que ces lieux vécus restent semblables à l'image que nous en gardons?
Ce regret manifesté par tous me semble en fait essentiel à la marche du monde, à la marche de chacun.