Il s'agit de poser à plat toute pensée qui traîne dans la tête, moins pour ne pas en perdre une miette plutôt que pour s'en débarrasser, et laisser l'oubli blanchir la mémoire, pour qu'un commencement soit possible.

AU BEAU MILIEU DU VIDE


Les films d’Hitchcock tendent tout entier vers une fin, une solution qui les ferme dans un idéal de perfection (où chaque artifice mis en oeuvre dessert cette unité formelle, et où aucune place n'est laissée à l'arbitraire). Mais cette fin est mise en attente, et c'est dans cette attente que tout le ressort du suspense est tendu. C'est en travaillant le mouvement de cette attente qu' Hitchcock dirige le spectateur. Mais il ne se contente pas de créer une tension en retardant ce que tout le monde désire, le dénouement, le retour à un état normal, stable. Il détourne cette attente vers rien. Il en fait une attente vaine, une attente qui se fait oublier.
Peters décrit les rouages de ce processus[1] : « Hitchcock efface toute signification, reléguant la narration à un statut purement subsidiaire, l'histoire n'est plus qu'un prétexte à la réalisation de l'œuvre, qui doit sa cohérence, sa force et son intérêt à la nature purement cinématographique des procédés employés ».
Le spectateur est mis face à une œuvre qui ne se veut plus que cinématographique. Une œuvre constituée d'un assemblage de procédés techniques de cinéma, et rien d'autre. L'histoire s'est faite oublier : Peters parle de « suspension du sens ».
Cette attente sur laquelle se réalise classiquement le plaisir esthétique, est donc détournée, de sorte que le spectateur oublie ce que les conventions le font aspirer (à savoir une conclusion en bonne et due forme), de manière à ce que lorsque la chute tombe, le spectateur en soit lui-même surpris. Il ne l'espérait plus. Le véritable objet du film est alors atteint : promener le spectateur au milieu de rien ; le plonge dans la vacuité. Cet artifice permet au cinéma d'être perçu pour ce qu'il est, du cinéma.
Des films comme young and innocent, north by northwest préfigurent le travail d'Antonioni qui « ne filme rien rien mais avec précision ».


[1] PETERS Benoît, Hitchcock, Le travail du film,Les Impressions Nouvelles, 1993.