Il s'agit de poser à plat toute pensée qui traîne dans la tête, moins pour ne pas en perdre une miette plutôt que pour s'en débarrasser, et laisser l'oubli blanchir la mémoire, pour qu'un commencement soit possible.

BEAUTE

CINQ MEDITATIONS SUR LA BEAUTE


Dans sa première méditation[1], Cheng part du constat que la beauté est partout contenue, elle est inépuisable, et perçue comme un don que la nature nous fait. Dès lors, que faire d'autre que de la recueillir et la célébrer ?
Pour commencer à nous faire entendre ce qui se trouve derrière ce mot de beauté, il établit une première distinction entre beauté et vérité. La vérité est la part d'évidence du réel qui nous est nécessaire, c'est d'elle que proviennent la notion de fonctionnalité, le désir de comprendre, de classer (par ordres, espèces). Mais la beauté est la part évidente, omniprésente du réel et qui paradoxalement est superflue. Elle recèle la part de mystère qui se trouve en toute chose. C'est elle aussi qui permet l'éveil des singularités, car c'est en cette part de mystère que se forgent les différences.
La pensée chinoise s'accorde avec le « tao », qui traditionnellement est traduit littéralement par la « voie ». Cheng va proposer une nouvelle transcription : le tao comme « vie ouverte ». Ce mode d'ouverture semble avant tout une façon d'être au monde.
« Seule une posture d'accueil [...] et non de conquête nous permettra [...] de recueillir de la vie ouverte la part du vrai. ». C'est donc par cette posture, cet être au monde, que l'on s'ouvre à ce qui nous entoure, et que par là même notre singularité prend forme. Ce qui est décrit ici est un mode de présence, cette présence transcende l'ouverture : en s'ouvrant à la présence des choses, c'est notre propre présence que nous établissons. (C'est peut-être cela habiter). La beauté réside donc dans l'accomplissement de sa présence (qui est mue par un désir profond), alors « en se révélant comme singulier, on entre dans cet ordre mystérieux du monde en perpétuelle transformation »[2]. Ce mouvement permet de comprendre le renouvellement incessant de l'ordre des choses, ce mouvement, c'est la beauté de la beauté.
« La beauté naît de notre sens du sens ». Le mot sens peut être entendu dans ses principales acceptions (sensation, signification, direction). La beauté naît de la compréhension de cette « orientation de l'univers qui tend toujours à la plénitude de sa présence »[3].
Ce mouvement est désir, élan. Il nous porte. Mais il n'est une volonté de l'esprit qui nous tire, il n'est pas une quête. C'est en ce mouvement que réside la principale différence avec les beautés canoniques et platoniques qui ont constitué les critères esthétiques de la culture occidentale (les combinaisons de traits, qu'elles soient extérieures, superficielles (canon), ou intérieures, (essentialisme de Platon) n'ont conduit qu'à figer les choses).
Ce désir, ce mouvement, est le seul critère qui se montre garant de l'authenticité de la beauté telle que la conçoit Cheng, il va donc dans le sens de la voie : il maintient ouvertes toutes ses promesses.



[1] CHENG François, Cinq méditations sur la beauté, Albin michel, mars 2006

[2] Ibid.

[3] Ibid.